L’Aventure égyptienne – Livre II

La Grande Guerre (1914-1919)

Version pdf (14 p. – 130 Ko)

L’Histoire se divise en âges et en ères : l’âge de la pierre taillée, l’âge du fer, l’âge des invasions barbares. Puis viennent dans une civilisation humaine en grande progression : l’ère lumineuse de la Renaissance ; l’ère dangereuse de la Révolution et l’ère glorieuse de l’Empire.
Il est certain que 1914 fut la fin d’une ère heureuse qui se termina lamentablement dans une guerre catastrophique.

Nous ne nous doutions guère que nous tournions une page de l’histoire de France en ce printemps de 1914 où nous nous embarquions à Alexandrie sur un bateau roumain, tout blanc, qui allait nous conduire à Constanza après deux escales fascinantes : Athènes et Constantinople. Puis de Bucarest à Paris dans l’agréable confort de l’Orient-Express nous allions traverser l’Europe avec d’autres escales : Budapest, Vienne et Munich. Ce fut un enchantement continuel dans un printemps radieux. Hautes montagnes, grand fleuve, immense zones de prairies, partout le calme, la prospérité, les beaux espoirs de moissons, rien ne laissait soupçonner que trois mois après ces riants paysages, ces villes somptueuses, ces populations actives, allaient connaître les horreurs et les souffrances d’une interminable guerre.
En France on nous vit tout heureux de notre beau voyage de vacances et le 1er Juillet nous reprenions le bateau pour Port-Saïd où le travail devait recommencer.
Le 14 Juillet fut une fête française, on dansa au Casino et le soir toutes les barques éclairées aux lanternes défilèrent comme un long serpent de feu dans le port, où l’on jouait la Marseillaise.
Les jours suivants le télégraphe nous transmit d’inquiétantes nouvelles d’Europe et que la censure filtrait au maximum. Enfin un soir de clair de lune, on afficha une sinistre dépêche : la guerre était déclarée entre la France et l’Allemagne.
Les journées qui suivirent la déclaration de guerre furent extrêmement pénibles. La mobilisation se fit rapidement, avec beaucoup de discipline, et tous les Français en âge de combattre avaient rempli un seul grand bateau ; ils laissèrent leurs familles désespérées, désorientées malgré les propos rassurants leur affirmant que l’Egypte était un refuge sans danger et que la séparation d’avec les maris et les grands fils ne serait pas longue car certainement, la guerre serait finie en quelques mois.

Je restais seule et sans emploi, mais on ne m’avait pas permis de quitter Port-Saïd. Les départs pour la Syrie et le Liban étaient arrêtés, les émigrants pour l’Amérique n’eurent plus de transports et les pèlerinages pour La Mecque ne devaient plus avoir lieu.
J’appris alors que les Ladies-Doctor étaient mobilisées dans la Croix Rouge anglaise avec le grade de colonel, pour instruire les infirmières bénévoles, et je partis pour Le Caire afin d’y rencontrer quelques grands chefs de la médecine militaire anglaise. J’allais au-devant des déceptions et des réceptions les plus cocasses. Un médecin général me reçut froidement, me demandant si j’avais mon diplôme de « nurse ». Je répondis modestement que je n’avais qu’un diplôme de « docteur ».- « Non, alors (well no) nous n’avons pas besoin de cette catégorie de femmes, fit-il d’un air dédaigneux. »
Chez un autre, moins sec mais tout aussi distant, je reçu l’autorisation d’entrer dans son hôpital en dehors des heures de visite, pour distribuer aux malades des bananes et des oranges de la part de la Croix Rouge. Je refusai cette gracieuse aumône et je rentrai chez moi tout à fait découragée.
Avant de quitter Le Caire j’avais rencontré, dans le hall de l’hôtel Sheapeard, le docteur Ruffer en proie à une violente fureur. « J’ai l’habitude du commandement, me dit-il, je suis acclimaté à ce pays dont je connais toutes les ressources et je me heurte à des chefs sans autorité et sans expérience, à qui on a collé d’emblée 4 ou 5 ficelles et ils me refusent toute direction importante ; ils me proposent des activités de brancardier ou de garçon de salle, bientôt vous me trouverez balayant la cour de l’hôpital ; aussi je leur ai tiré ma révérence et je pars en Grèce pour y créer toute l’organisation de Croix Rouge. »
C’était la dernière fois que je voyais notre cher Président. Il prépara durant quelques mois tout un programme bien équilibré, pour lequel on l’attendait à Athènes. Il prit pour la traversée un transport anglais qui fut torpillé et son canot de sauvetage fut emporté par un remous au moment où le bateau coulait ; on ne retrouva jamais son cadavre.

Tristes jours maussades et résignés à Port-Saïd ; fausse littérature de bravade dans les journaux locaux, petites cartes postales inquiétantes comme seules nouvelles de France et rien à faire quand on sent qu’on pourrait être utile n’importe où et, comme tout le monde croit à une guerre très courte, il s’y joint une impatience qui aggrave le découragement.
Quelques vaisseaux de guerre viennent s’ancrer à demeure dans le port. Deux anglais et un garde-côte français l’Amiral Charner, en mission de surveillance du Canal de Suez et des rives proches de Méditerranée. Cette présence donne un peu de gaîté à la ville endormie ; tous ces marins en tenue d’été et les pompons rouges que les Arabes appellent « les Bonbons rouges », emplissent de nouveau les cafés et les bords de la plage.

Le Gouverneur et les grands chefs donnèrent quelques dîners et je fus invitée chez un médecin de la Compagnie du Canal qui offrait un thé-cocktail à l’Etat-Major de l’Amiral Charner. Réunion très gaie, essaim de jeunes filles, beaucoup d’officiers qui disaient en plaisantant : « Ne nous considérez pas comme de vrais combattants, nous sommes des embusqués du Moyen-Orient, service de surveillance pour ces côtes où il ne se passe jamais rien. »
Tout le monde s’entendit pour les distraire en ces jours languissants qu’ils traînaient, dans leur coque de métal, dans un port humide et chaud et ils acceptèrent avec plaisir des rendez-vous au tennis, au golf, des bains à la plage et des parties de bridge. Mes chers confrères, tous jeunes et charmants, m’avaient même invitée à visiter leur infirmerie. Hélas ! rien ne se réalise. Le lendemain on apprit que l’Amiral Charner était parti à l’aube, puis ce fut le grand silence. On ne s’en inquiète pas, lorsqu’un jour on apprit qu’une barque de pêche venait de ramener un matelot français. On l’avait repêché seul, agrippé à une bouée, à moitié fou de faim et de soif. Ce fut l’unique rescapé d’une horrible catastrophe. Est-ce une mine, une torpille ou une explosion à bord ? On ne sut jamais rien de plus ; le matelot ne se souvenait de rien, il avait été projeté par-dessus bord, avait accroché deux planches et avait nagé jusqu’à une bouée…
Oui, c’était ça la « guerre »; ces officiers sains et forts, ces matelots répandus dans la ville, une belle jeunesse française disparue en quelques minutes… Un trou dans l’eau et tout est fini.

Dans la ville attristée ce fut la stupeur. Les gens manquant d’imagination se contentaient de la pauvre littérature de quelques journaux du Caire, ne se figuraient pas ce que pouvaient être ces hécatombes de jeunes hommes sur les champs de bataille et sur mer.
On ne parla plus de thés dansants, de sports au tennis ou à la plage, ni de pique-niques au lac Menzaleh et les cours de la Croix-Rouge eurent un public plein d’ardeur.
La Victoire de la Marne fut accueillie avec un bel enthousiasme car presque tous y voyaient la fin prochaine des hostilités.
Quelques mois à peine d’un choc violent, l’ennemi battu prêt à demander l’armistice et la paix. La fin rapide d’un cauchemar et le réveil triomphant. – Hélas! Comme on se trompait.

C’est à ce moment que je reçus l’ordre d’aller remplacer Miss Russel à Suez. Changer d’horizon ne me déplaisait pas, j’espérais un peu plus de travail utile et je déménageai pour m’installer chez ma collègue anglaise emmenant mes domestiques, ma chienne, car le rest-house avait été réquisitionné par l’armée anglaise. Très bonne installation dans le grand Palais Quarantenaire, vérandas sur trois faces, un beau jardin, mais, une fois de plus, rien à faire car les seuls bateaux qui passaient étaient des transports de troupes, des cargos chargés de munitions et il n’y avait à bord ni femmes, ni enfants.

En France les familles commençaient à souffrir ; l’hiver s’annonçait et l’on manquait de chauffage ; le ravitaillement était difficile et l’on eut l’idée bizarre de m’expédier deux enfants convalescents de rougeole et de scarlatine qui arrivèrent tout seuls, sur un bateau des vieilles Messageries, et furent enchantés de trouver un hiver si clément et d’être loin des angoisses immédiates de la guerre. La petite fille, 10 ans, alla à l’école et son cousin, 13 ans, beaucoup plus atteint, ne fit rien que jouer au soleil, pêcher avec nos gardiens et apprendre l’anglais dans le genre du mien avec les soldats qui montaient la garde sur le quai de la Quarantaine. Ils furent guéris tous deux pour Noël.
Je trouvai, tout de même, une petite activité en allant chaque matin à l’hôpital de Suez suivre la visite du Docteur Gauthier et j’y pus faire un cours de Croix-Rouge à une vingtaine de jeunes filles de Port-Tewfik.

Ces allées et venues me permirent de me rendre compte d’un arrivage massif de troupes anglaises et hindoues qui venaient renforcer les contingents assez disséminés le long de la ligne de chemin de fer qui suivait le Canal. La cavalerie des Indes, avec de magnifiques chevaux, avait installé un camp immense (tentes de toile et pistes d’entraînement) à quelques kilomètres au nord de Suez. Les officiers commençaient à fréquenter le club et cela donnait un peu d’animation à notre village endormi.

Il y eut, toujours en janvier (1915), deux arrivées sensationnelles, mais auxquelles nous n’attachions aucune importance.
1°/ Une Commission de civils venue d’Europe, désirant se rendre compte de l’état de défense du Canal de Suez. Après un très bon déjeuner chez le Chef du Transit, je les vois encore devant l’immense désert de la rive Asie, disant, très rassurés : « Sans piste, sans route, du sable mou, sans eau, sans ravitaillement possible, rien à craindre de ce côté-là. » Et c’est bien ce que nous pensions tous.
2°/ Toujours en janvier, surprenante arrivée à bord d’un P & O (Peninsular and Orient Line), d’un moine inconnu, qu’on me présenta sous le nom de « Father Johson »; mais il rectifie immédiatement avec un bon accent bourguignon: « Madame, je suis le Père Jaussen. J’ai été chassé de Constantinople. Réfugié en Syrie, je suis passé par Damas, puis Jérusalem. J’ai pu, en caravane, gagner Aden, sauter sur ce bateau et je voudrais avoir la possibilité de gagner Le Caire le plus vite possible, car j’ai d’importantes communications pour le Grand Quartier Général. »
Le brave père, qui venait de faire une randonnée formidable, avait une touche des plus drôles ! A la place d’une soutane, une longue blouse d’épicier en toile bise, un casque colonial très usé et, à la main, en guise de bagage, un immense sac en tapisserie. Je lui offris un « lift » sur notre canot, on le conduit à la gare de Tewfik, il prit le train et on ne l’a plus revu.
Nous avons su depuis qu’on l’avait assez mal reçu au GQG et que son histoire avait bien fait rire les jeunes officiers qui le prirent pour un illuminé. Car, voilà ce qu’il annonçait en toute sincérité : « J’ai vu, tant à Damas, qu’à Jérusalem, une grande réunion de troupes turques sous l’ordre d’officiers allemands. J’évalue de 30 à 40 mille le total de ces armées en préparation avec un immense matériel de pontons, de canons, de fusils, de pelles et de pics. Je crains qu’ils ne se préparent à marcher vers l’Ouest, peut-être pour attaquer le Canal de Suez. » Les rires et les plaisanteries ne cessèrent pas dans les bureaux ; alors il écrivit pour être remis au Général Maxwell : « Avant le début de mars 1915, les Anglais verront les Turcs sur le Canal. »
3ème alerte. J’étais allée à Port-Saïd, avec mes deux gosses, chez de bons amis. Il y avait eu un dîner où étaient invités les aviateurs du camp français. J’étais assise à côté d’un officier qui surveillait le désert chaque jour en hydroplane et il me dit: « Les Turcs préparent quelque chose, il y aura bientôt du nouveau ! »

Tout cela n’avait pas troublé notre quiétude et nos arrivions au début de février.
Là commence le récit de ce que j’ai vu et entendu. Comme je ne suis ni officier de marine, ni canalien, ce sera proprement l’histoire chez la portière, et ce fut pourtant une bien surprenante aventure.
Cela débute, qui le croirait, par une fête splendide offerte le 2 février 1915, sur un cirque de sable où les officiers d’un régiment de cavalerie des Indes allaient donner un réel concours hippique. Ces officiers étaient jeunes, portaient de splendides uniformes, faisaient rêver les jeunes filles qui les rencontraient au Club et, comme cavaliers, ils nous régalèrent des plus beaux exercices : sauts en hauteur, voltige au galop, simulacres de couper une tête ennemie à la course en fauchant une raquette de cactus et de ramasser un blessé sans descendre de cheval, pour finir par une fantasia magnifique.
Au moment où toute la troupe réunie partait en charge vers l’horizon, le ciel se voila presque subitement et un malaise indéfinissable nous saisit. Un souffle chaud remplaça la fraîche brise, c’était le début d’un khamsin, et nous étions à 4 kilomètres de la ville de Suez.
J’ai déjà parlé de ce fameux vent du désert qui, pendant 50 heures, rend l’atmosphère irrespirable.
Ce fut une fuite éperdue de tous les assistants ! Certains s’empilèrent dans de pauvres charrettes, d’autres dans des victorias dont les chevaux affolés zigzaguaient sur la route. Avec quelques amis et tous les enfants, nous partîmes à pied, nous donnant le bras, comme une troupe d’aveugles, perdus dans la tempête. Il fallait voir les dames en grande toilette : robes de velours, fourrures poudrées de sable et les chapeaux dont les plumes, les fleurs et même les frisettes postiches, s’envolaient au vent. Enfin nous atteignîmes la gare d’Arbaïn, qui n’était qu’un tourbillon de poussières, de vieux papiers et de feuilles de choux.
Pouvions-nous nous douter que ce rideau de brume, ce sable soulevé qui éteignait les projecteurs et aveuglait les sentinelles, allait permettre à une armée ennemie insoupçonnée d’attaquer le Canal de Suez à l’aube du lendemain.

En effet, le lendemain matin (3 février 1915) le khamsin durait toujours ; le rideau de sable était plus épais que la veille et la chaleur était intense. Les enfants furent consignés à la maison. Le service quarantenaire hissa le drapeau noir, mais notre cuisinier Souleïman arriva à son heure, sans une minute de retard. Il portait deux immenses paniers très pleins et je lui demandai en riant s’il craignait la famine. Il semblait d’ailleurs très impressionné et, avec volubilité, se mit à raconter ce qu’il avait entendu le matin au bazar. Je compris assez mal ce récit qu’il interrompait pour dire : « Boum, boum ». Il était question du Canal, de Koubri, de Sérapeum (une gare à 6 kilomètres d’Ismaïlia) et de « matfa » qui faisaient « boum, boum ».
Je confondais « matfa » – qui veut dire canon – avec « masfa » qui signifie passoire. Pourquoi insistait-il sur cette passoire ? Or, ce qu’il racontait comme un potin entre cuisiniers était parfaitement exact.
Ce matin-là, à 5 heures, profitant du khamsin pour une attaque brusquée, une armée turque de 20 à 30 mille hommes, conduite par des officiers allemands, avait attaqué la défense du Canal. Pendant une semaine, marchant de nuit, se dissimulant le jour, sans que personne ne l’ait repérée. Elle avait choisi Sérapeum avec une berge élevée de 25 mètres, alors que les poste de défense étaient établis à El Kantara, et à Koubri, passage habituels par bac ou pont flottant, entre la rive Afrique et la rive Asie.
Dans cette tempête de sable, par une chaleur de four, le choc fut terrible. Les officiers ne pouvaient repérer leurs hommes, les combattants s’entretuaient sans se reconnaître. Déjà de grandes barques turques, s’ajustant pour faire un pont, avaient été mises à l’eau ; elles furent coulées ; les hommes qui les montaient furent tous noyés et pas une, heureusement, n’aborda la rive Afrique.
La journée passa dans la tourmente et les assauts incessants ; la nuit vint, plus noire que jamais et le matin, ô délivrance, le désert s’était éclairci et à midi le khasim avait cessé. Alors les bateaux français, le garde-côte Requin et le D’Entrecasteaux, purent par un tir croisé magnifique, l’un du Lac Timsah, l’autre du kilomètre 60 sur le Canal, anéantir définitivement les camps ennemis qui se préparaient à une nouvelle attaque. Ce qui resta de ces armées décimées reprit le désert et s’enfuit vers l’Est laissant un immense butin et quantité de cadavres.

Tandis que les nouvelles les plus invraisemblables circulaient dans notre coin si menacé, que les mères de famille s’affolaient, que les enfants mouraient de peur, nous nous contentions des reportages quotidiens de notre brave cuisinier. C’est par lui que nous apprîmes la déroute complète de l’armée ennemie, le rôle magnifique des deux croiseurs français « dont les grands matfas faisaient boum sur les attaquants, qui sautaient comme des crevettes dans la friture », et comme il avait le cœur tendre, il versait quelques larmes sur tant de jeunes soldats qui y avaient trouvé la mort.
Les amies se moquaient un peu de notre « reporter de guerre » et pourtant, c’est incroyable avec quelle exactitude il sut nous décrire l’attaque du Canal. C’est que, dans le désert, le moindre gardien de troupeau est un parfait observateur. Avec leurs grands beaux yeux, ils voient loin et bien. Pour les combats du premier jour dans le khamsin et lorsque le canon avait tonné, c’était sans doute un petit berger qui, effrayé, avait ramené au galop ses moutons à l’Esbeh et raconté ce qu’il avait vu dans la tourmente de vent et de sable. Son père, qui travaillait au bac de Koubri, avait dû en aviser une bédouine qui allait vendre ses œufs au bazar de Suez où mon cuisinier en avait eu la primeur. Si bien que l’attaque aux aurores m’était contée 3 heures après et parfaitement expliquée. Chez ces peuplades primitives point n’est besoin de téléphone, télégraphe, train express, avions et journalistes ; le seul moyen de transmission étant d’oreille à oreille, entre observateurs remarquables.

Cette folle équipée, menée par le Baron Von Kress et quelques officiers allemands, n’avait que bien peu de chances de réussir, mais elle fut montée avec tant de précision et une imagination si fertile qu’elle arriva à son but et, violemment repoussée, put disparaître dans le désert sans poursuites définitives. Quand on pense à cette préparation : 20 à 30 mille soldats turcs éprouvés, une escouade spéciale de « fédaïnes », musulmans farouches partisans de la Guerre Sainte et tueurs de chrétiens et à tout ce matériel spécialement conçu pour braver le désert, on ne peut qu’admirer cette poignée de troupes anglaises et de marins français qui put, en trois jours, avoir raison d’une attaque surprise aussi dangereuse.
Dans l’immense butin que les ennemis abandonnèrent sur la rive Asie, on eut l’explication de ce qu’avait été cette marche dans le désert qui, en sept jours, avait atteint la rive Est du Canal de Suez. D’immenses barques en tôle galvanisée étaient montées sur roues et traînées par des chameaux et des bufflesses. Remplies d’eau douce au départ, à chaque étape les hommes recevaient leur ration de boisson et, comme la charge à traîner diminuait, on tuait une ou deux bufflesses pour la nourriture des camps. Ces barques délestées avaient été lancées sur le Canal de Suez unies les unes aux autres pour faire un pont de traversée, car le but de l’attaque était le canal d’eau douce à Néfiche, en face du Sérapeum.
Tout semble se réaliser au mieux tant que le khamsin souffla avec sa chaleur et ses nuages de sable, mais dès que la visibilité fut de nouveau normale la partie était perdue pour ces audacieux. De plus, il y eut une heureuse surprise pour les habitants de l’Isthme. On avait pensé, en Turquie, que le peuple égyptien se soulèverait et tendrait une main amie aux ennemis des Alliés, mais les habitants des trois villes ainsi que les braves fellahs au bord du canal d’eau douce se trouvaient si heureux de « la présence de ces affreux coloniaux que nous étions alors », qu’ils se réjouirent avec nous de l’heureuse fin d’une aventure sans lendemain.
Que devenions-nous pendant ces temps troublés, petite colonie de femmes et d’enfants, isolés au bout du Canal, où se jouait notre sort et peut-être notre vie?

Une semaine après, nous nous retrouvions tranquilles ; il nous semblait sortir d’un cauchemar qui avait bouleversé nos cervelles durant ces jours dangereux et, assises dans un bon fauteuil au Club, nous regardions passer en file ininterrompue les bateaux qui, arrêtés pendant la bataille, avaient encombré la rade. Le train du Caire sifflait joyeusement pour annoncer son retour, les petites filles défilaient, sortant de l’école sur l’avenue Hélène et on installait sur la berge deux grandes barques vides, deux énormes mines désamorcées et vidées, glorieuses reliques qui rappelleraient l’attaque du Canal.
Tout en buvant de fraîches « gazoses » nous énumérions, avec quelques petits frissons rétrospectifs, toutes les horreurs que, grâce au succès des Alliés nous avions heureusement évitées. D’abord la mort par la soif si Néfiche avait été pris et le canal d’eau douce coupé, que seraient devenus humains, animaux et plantes devant la mer salée et le sable sec, sans une goutte d’eau à boire ? De plus les Fédaïnes auraient liquidé, avec leurs grands couteaux, tous nos visages pâles malgré nos joues roses et on les savait terriblement cruels. Enfin le Canal de Suez aurait été bloqué : c’était l’arrêt catastrophique de tout ravitaillement qui venait d’Extrême-Orient.
Nous allâmes toutes en pèlerinage à Sérapeum pour nous recueillir devant les tombes sur les bords du Canal de Suez. Quelques croix – pour les officiers allemands – de gros rochers pour les tombes turques – deux mille tués à peu près – et 200 Anglais dans un cimetière fleuri à Ismaïlia.

Pour ne plus se laisser surprendre la défense fut réorganisée et cette fois-ci à l’Est sur la rive Asie, mais l’ennemi n’y revint pas. Janus détourna la tête et regarda vers l’Ouest où se déroulait la plus cruelle des guerres sous-marines.
Comment cette nuée de sous-marins allemands avaient-ils pu entrer par Gibraltar dans une Méditerranée pourtant sous surveillance ? Quand j’allais à Port-Saïd, au centre de Croix-Rouge, j’assistais à la lamentable arrivée de tous ces rescapés plus atteints moralement que physiquement par les scènes d’horreur auxquelles ils avaient assistés.
La censure avait, malheureusement, caché au début les dangers de la traversée pour tous les bateaux qu’ils soient militaires ou civils et la plupart des gens s’embarquaient croyant être en pleine sécurité loin du front de guerre. Moi-même, j’avais rapatrié mes deux gosses en France au moment où l’alerte commençait : quelle imprudence ! Ils arrivèrent à Marseille sains et saufs, mais la semaine suivante le même bateau torpillé fut perdu corps et biens.

Mon mari fit la folie de venir passer avec nous son premier congé. Il arriva sans fâcheuse rencontre, mais nous n’avions qu’une hantise et c’était ce retour vers la France. Je verrai toujours ce deuxième départ à Port-Saïd. Plusieurs hauts fonctionnaires du Canal partaient en même temps que lui, mais sur un bateau différent.
-« Docteur Barthas, dirent-ils en riant, pourquoi partez-vous sur le Lotus des Messageries Maritimes ; c’est dangereux, tandis que nous avons choisi le Mooltan des P & O. Il paraît que Guillaume II a une partie de sa fortune dans cette compagnie-là et nous ne serons sûrement pas torpillés. »
– » Au revoir, à Marseille, et bon voyage » leur répondit mon mari.
Le convoi partit encadré de torpilleurs japonais.
En sortant de Malte, vers 19 heures, on entendit un fracas terrible et un matelot du Lotus cria: « C’est l’Anglais qui a pris. » En effet, le Mooltan avait reçu la torpille, au milieu de la coque. Les torpilleurs japonais l’entourèrent aussitôt d’un rideau de fumée noire tandis que le Lotus fuyait à toute vitesse.
La mer était calme, le Mooltan ne sombra qu’à minuit et l’on put sauver tout le monde à bord. Il n’y eut qu’un incident et il fut du dernier comique au milieu de cette tragédie. Un couple de jeunes mariés, -Johny et Mabel- de Suez était à bord emportant, avec leur bonheur conjugal, tous leurs cadeaux de mariage ainsi que la dot de la jeune femme et les économies du jeune homme. Dans la panique qui avait suivi le torpillage, le mari avait été dirigé vers un bateau de sauvetage ; il avait cherché sa femme partout et on lui assura qu’elle était dans un autre canot réservé aux femmes et aux enfants. « Mabel, criait-il, Mabel » mais son appel restait sans réponse. Tout à coup, comme le bateau commençait à prendre de la bande, on vit descendre au bout d’une longue corde une négresse presque nue avec un pagne roulé autour des hanches et de ce paquet mal ficelé sortit une petite voix: « Johny, Johny, disait-elle, I was in my bath, I am saved ! » (John, j’étais dans mon bain, un matelot m’a sauvée.) C’était Mabel, passée au noir par la fumée des torpilleurs et qu’un matelot faisant une dernière tournée à bord l’avait entendue alors qu’elle chantait dans son bain.

Tous ces rescapés se retrouvèrent à Marseille ; mon mari en uniforme avec toutes ses valises. Ces messieurs de la Compagnie du Canal en smoking fripé et plastron maculé de suie : ils avaient passé trois jours sur un torpilleur japonais et le couple Johny-Mabel semblait très correct tous deux blonds et frais, mais dans des uniformes de marins japonais.

Il est évident que l’état de guerre exaspère chez certains hommes les plus bas instincts : la haine, la cruauté, le goût de l’alcool et de la fausse gloriole, mais en même temps elle suscite des actes si beaux de courage, de pitié et de dévouement à la patrie, que les héros se révèlent dans toutes les classes sociales et justement parmi ceux qui n’y semblaient pas prédestinés.
Tel était, à Port-Tewfik, un gros bonhomme tout simple que l’on rencontrait sur l’avenue Hélène. Le père Carew n’était plus jeune ; il datait certes des débuts de l’exploitation. Excellent pilote, il faisait presque journellement le trajet Suez-Ismaïlia pour revenir par le train, bien fatigué mais toujours de bonne humeur. D’origine américaine, il n’avait jamais quitté Port-Tewfik où sa femme, française intelligente et active, tenait une grande auberge toute simple où logeaient quelques célibataires. Or, justement ce 3 février où l’armée germano-turque attaquait le Canal derrière un rideau de sable soulevé par un vent violent, le pilote Carew menait un bateau de guerre anglais, le Harding chargé de troupes et de munitions.
A 8 kilomètres d’Ismaïlia l’ennemi, on s’en souvient, qui tentait de traverser le Canal, était posté derrière une berge surélevée de 20 à 25 mètres entre Toussoum et Sérapeum et le croiseur Harding, avançant dans la tempête était une cible magnifique. Un premier obus passa en sifflant et le pilote se rendant compte de l’extrême danger, comprit qu’il fallait à toute vapeur gagner le lac Timsah en dehors du champ de tir des canons turcs. « A toute vitesse » cria-t-il, tenant la barre d’une main ferme : le bateau s’élança mais un second obus vint prendre de flanc le Harding. Il y eut des tués, des blessés, des dégâts importants ; le pilote était toujours debout, mais un éclat d’obus lui avait cassé le bras, un autre fracturé une jambe ; le sang giclait. « Une corde », cria-t-il et, se faisant lui-même un garrot serré qui arrêta l’hémorragie, il s’assit sur une chaise, s’agrippa à la barre en répétant aux mécaniciens : « A toute vitesse »; le bateau arriva sauf à Ismaïlia. Ayant fait son devoir sans défaillance le pilote se permit alors de tomber évanoui. Amputé immédiatement il devait survivre, mais en infirme dans une petite voiture, qu’il menait adroitement sur l’avenue Hélène ; tout vieux, tout tassé, il prit sa retraite à Port-Tewfik. L’Amérique le gratifia de citations et de croix ; le Canal, d’une pension de retraite, mais trop modeste pour se mettre en valeur, il se contentait d’être acclamé par les enfants des écoles, des petiots qui criaient : « Vive le père Carew  » sans trop savoir ce qui lui avait valu de belles décorations et une si confortable petite voiture d’infirme.

C’est encore au fond de notre immense rade où croisaient des flottes nombreuses qui servaient à ravitailler en matériel humain et en munitions les armées Alliées, que j’ai découvert deux jeunes héros obscurs dont le corps médical peut s’enorgueillir.
Nous avions reçu d’Aden un télégramme alarmant. Un vieux cargo, le Pen-Ho, venait de quitter Aden pour Suez ; 3 malades avaient été débarqués à l’hôpital et il s’avérait que c’étaient 3 cholériques, dont un était déjà mort.
Quelques jours après le Pen-Ho jetait l’ancre en rade et nous montions à bord. C’était un transport d’ouvriers chinois : terrassiers que l’on avait expédiés de Shangaï pour creuser des tranchées sur le front français. Deux mille hommes entassés, quelques morts suspectes le long de la traversée de l’Océan Indien, arrivée à Aden, confirmation du diagnostic choléra à bord et, pour le combattre, 2 jeunes médecins ayant su bien prendre en mains l’équipage terrifié, et calmer les rumeurs dangereuses qui circulaient parmi ces hommes apeurés et prêts aux pires désertions. Car, entre Aden et Suez, l’épidémie avait tourné à la catastrophe : d’abord 10 cas nouveaux le lendemain, puis 20, puis 30 et, le matin de l’arrivée à Suez, 70.
La nuit on immergeait silencieusement les cadavres.

Et c’étaient ces deux jeunes docteurs, épaulés par le Commandant et ses officiers, qui avaient fait front contre l’épidémie. Les malades aussitôt découverts étaient parqués sur un pont, gardé par des sentinelles. Les biens portants entassés à l’avant et à l’arrière, n’avaient aucun contact possible avec les malades. La cuisine était surveillée de près ; partout de grands bacs de permanganate de potasse pour la désinfection continuelle des mains et des pieds nus. Admirable obéissance de tous aux ordres de ces deux jeunes docteurs qui auraient été les premières victimes si la confiance avait cessé de régner. On les aurait expédiés par-dessus bord pour déguerpir avec les canots de sauvetage.
Ces deux jeunes confrères étaient véritablement épuisés ; ils n’avaient pas dormi depuis Aden, sans cesse auprès de leurs malades, étendus sur des matelas en plein air, demi-cadavres, souffrant de ces horribles crampes musculaires, de ces diarrhées profuses et riziformes, la moitié déjà en agonie. Eux, ne quittant ce travail de forcenés que pour surveiller l’hygiène générale et pour réconforter ces masses humaines.
Aussitôt arrivé à Suez, le Pen-Ho fut dirigé vers El-Tor où une équipe de docteurs et d’infirmiers les attendait. Les malades furent isolés d’emblée, les suspects, les peureux, à l’hôpital, les biens portants en sections. Bains, désinfections, en 10 jours l’épidémie était totalement arrêtée.
A-t-on su, à Paris, le rôle admirable de ces deux médecins militaires ? Ont-ils été récompensés de leur action improvisée, si sage, si efficiente, qu’elle limita à 200 morts une épidémie qui aurait pu enflammer l’Europe.
Peut-être dans leur modestie, ont-ils trouvé naturel d’agir en grands chefs bienfaisants, devant une menace affreuse et je ne peux même pas citer leurs noms. Héros obscurs, comme il y en eut tant pour la gloire de la France.

Les humains ont heureusement une consolante facilité d’oubli et, deux mois après les angoisses de l’attaque du Canal, nous sommes en train de faire toilette pour une soirée mondaine où nous sommes invités à rencontrer l’Etat-Major de deux croiseurs français arrivés d’Extrême-Orient.
Le Chef du Transit allait traiter royalement ses chers amis de la Marine et cela dans un vaste palais offert par la nature et gratuitement éclairé par le ciel. J’indique ici le désert et la pleine lune. Oui, un pique-nique-lune comme seul un printemps d’Égypte peut en offrir avec un ciel sans nuages, une mer calme, sorte de grand miroir sombre où la lune traçait un chemin de paillettes d’argent.
Il y avait, au pied de l’Attaka, un quai bien dallé permettant l’abordage des canots, des vedettes et des barques à rames, et il en arrivait sans cesse chargés de dames en toilettes claires et d’officiers en uniformes blancs. 60 invités à peu près mais, comme la moitié des arrivants ne connaissaient pas l’autre moitié, on trouva plus simple de ne pas faire de présentations. Alors, comme dans la pêche au trésor, chaque invité était prié d’aller tirer d’un grand sac le nom de la dame qui serait sa compagne de soirée. Il y eut ainsi des rencontres heureuses et des couples bizarres, comme ce Vice-Amiral qui s’adjugea une gosse de 15 ans et une mémère fort imposante qui échut à un Midship tout jeunet et très timide.
D’immenses tables étaient installées sur le quai, faites de planches et de tréteaux. Le buffet était abondamment garni de poissons, de poulets, de dindes, de fruits et de gâteaux, sans compter de nombreuses bouteilles au frais sur la glace. Tout cela fut vivement apprécié, par ces jeunes gens qui avaient souffert d’une chaleur très dure dans la Mer Rouge et de menus peu appétissants dans leur coque d’acier surchauffée. De plus, la brise s’éleva et apporta tous les parfums grisants des maigres buissons du désert.
On a mangé, on a bu, on a chanté en chœur grâce à un vieux phono à grand cornet, puis on est allé s’asseoir sur des collines de sable que le vent a façonnée comme de grandes banquettes au-dessus de la mer et là on s’est régalé de bavardages, de conférences, de gais refrains, de rayons de lune et de champagne.
Mais la cloche de minuit a sonné à bord, au fond de la rade ; il était temps de partir et canots, vedettes, barques se sont envolés de nouveau. Dans le silence on a entendu des voix qui se donnaient des rendez-vous galants (rassurez-vous) dans les étoiles ! Ces marins, habitués aux quarts de nuit sous des cieux étoilés, lançaient :
« Marguerite aux beaux yeux bleus, je vous attendrai tous les premiers du mois à 22 heures chez Véga. »
« Lucienne aux boucles brunes nos regards se croiseront sur Vénus le premier août à 20 heures. »
Une voix enfantine cria au loin; « Mon Amiral, je vous donne rendez-vous à Noël dans la Grande Ourse à minuit. » A quoi un timbre mâle répondit: « Avec vous, ma poulette, je préfère la voie lactée. »
Le lendemain matin, la rade était vide et l’on se demandait si, vraiment, elle avait existé cette étape joyeuse entre les tristesses de la veille et les menaces du lendemain ? N’était-ce pas seulement un rêve charmant, plein de figures gaies et rieuses entrevues dans les rayons d’argent d’une lune merveilleuse ?

L’année 1915 passa, la Noël de guerre revint pour la seconde fois et rien ne faisait prévoir la fin de ce terrible conflit stoppé en France dans des tranchées et dont on ne prévoyait plus la fin. La guerre sous-marine continuait, implacable et le ravitaillement était de plus en plus difficile. Je me rappelle que le premier de l’An je reçus un cadeau infiniment précieux d’un officier anglais qui se priva de sa ration de pommes de terre et m’en envoya 5 kilos avec lesquels je fis des heureux autour de moi.

Désirant toujours servir en France et ne recevant que réponses négatives, j’avais cessé d’écrire au service de Santé Militaire à Paris quand je reçus en même temps 3 lettres d’amies qui, comme moi, avaient subi toutes les déceptions ; on se décidait enfin à utiliser les DD (Dames Docteurs) et on consentait à les engager avec le grade de médecin-major de 2ème classe. J’envoyai immédiatement cette bonne nouvelle à notre Administration à Alexandrie et je reçus l’autorisation de partir avec le quart de mes appointements comme tout mobilisé. En quelques jours tout fut arrangé. Comme je ne faisais rien d’utile, on me libérait facilement. Je retins une place sur un Messageries « Port-Saïd/Marseille » et mes amies me fournirent tout un matériel et les vêtements nécessaires en cas de torpillage. Cette perspective n’avait rien de gai car l’eau était encore froide, mais j’embarquai avec une ceinture de sauvetage, une bouée, deux gilets de kapok, un bonnet de caoutchouc et, en cas de flottement en mer, une poche d’eau douce à boire et des biscuits de mer dans un sac imperméable.
Le régime à bord était très strict ; deux fois par jour on faisait l’exercice du poste d’abandon ; on devait quitter les cabines à 7 heures et tous les verrous avaient été enlevés, personnes n’ayant le droit de s’enfermer ni pour dormir, ni pour prendre un bain, car il y avait eu des passagers dont les portes s’étaient coincées sous le coup de la torpille et qui avaient péri avec le bateau.
J’avais à ma table 3 officiers anglais qui, bravant tous périls, rentraient in England pour se marier et ils mirent tant d’entrain parmi les passagers angoissés qu’on finit par ne plus penser aux périscopes, aux torpilles et on ne parla que de l’arrivée à Marseille et de leurs noces prochaines. Nous croyions ne rester que 4 jours en mer, mais des nouvelles que nous ne soupçonnions pas nous forcèrent à faire un grand détour pour aller nous réfugier à Malte où nous dûmes rester 3 jours, si bien que notre dangereux voyage dura une longue semaine.
L’arrivée fut assez surprenante car nous pensions trouver une atmosphère de tristesse et de résignation alors que Marseille, débordante de jeunes hommes en uniformes et de petites femmes galantes, avait l’air d’une ville en fête. On pêchait à la ligne le long des quais, les cafés étaient pleins sur la Cannebière. Évidemment c’était le Midi et son brillant soleil ; on était loin du front et on voulait l’oublier.

Je trouvai une chambre au Splendid Hotel, près de la gare, et tous les amis de la traversée périlleuse se donnèrent rendez-vous dans un restaurant près du port. Mes copains de table vinrent me chercher à l’heure du dîner et je fus très étonnée de trouver devant la porte une affreuse vieille victoria tirée par une jument fort maigre. Il n’y avait plus de taxis.
– « Mais, dis-je, j’aurais très bien pu marcher avec vous, pourquoi cet équipage ? »
– « Really, ce n’est pas pour vous, avoua en rougissant le plus jeune ; c’est que les rues sont pleines de si jolies petites femmes que nous craignions la tentation. Ce n’était pas joli la veille de notre mariage. »
Je compris et je félicitai ces vertueux camarades, mais j’avoue que les jolies petites femmes si tentantes n’avaient vraiment rien de bien affriolant. Il faut dire, pour leur excuse, qu’ils avaient dix mois de cantonnement dans un désert sans femmes et sans fleurs, et le printemps marseillais était peut-être un peu excitant pour ces jeunes nordiques. Je fis donc le trajet aller et retour dans la guimbarde purificatrice, le dîner fut charmant et je leur dis adieu en leur souhaitant une nuit « chaste et pure ». Je ne les ai jamais revus.

J’arrivai à Paris, je fus au Ministère de la Guerre, je reçus le grade de Médecin-Major de 2ème classe , tout allait bien mais pour un poste je fus priée d’attendre : on m’en aviserait bientôt. J’attendis donc en grande anxiété quelques jours, puis quelques semaines et rien ne vint. Je courus chez mes amies et là c’était un concert d’indignation. Un Ministre intelligent avait bien décidé de nous utiliser mais on se heurtait partout à la mauvaise volonté de vieux gradés, assis dans leur bureau, qui voulaient, disaient-ils, éviter les complications. Or, ces quelques femmes à diriger vers des hôpitaux de grands blessés, étaient l’objet de leurs critiques ou de leur fureur. Une excellente chirurgienne, d’allure distinguée, s’était vu répondre: « Attendez, Mademoiselle, vous l’aurez votre képi, vos épaulettes et votre grand sabre pour vous promener sur les boulevards. »
Une autre, qui dirigeait un laboratoire, reçu ce conseil: « Retournez à votre cuisine et faites cuire la soupe de votre famille ; il n’y a pas de place pour les femelles dans nos salles d’opérations. »
Quant à moi, j’errais dans les bureaux et je me faisais l’effet d’une femme de ménage en chômage, cherchant n’importe quoi pour nourrir sa famille. J’avais ce même air résigné et désabusé.

Enfin l’appel arriva. Je reçus ma feuille de route et je partis radieuse pour Le Mans, ville laide et triste, mais dont je connaissais l’admirable cathédrale, et le vieux quartier resté intact depuis le Moyen-Age.
Très respectueuse j’allai me présenter au Service de Santé où l’on avait reçu la lettre au sujet de mon affectation mais où l’on m’avoua qu’on ne savait pas encore vers quel service me diriger. Il y avait là tout un aréopage de grands galonnés : médecin général, deux médecins colonels, des aide-majors de toutes catégories et un essaim de jeunes dactylos qui rigolaient en me regardant ; refoulée de bureaux en bureaux et revenant patiemment à la recherche d’un poste fantôme.
Ce service de santé était installé dans une villa qu’on avait réquisitionnée sans en enlever les meubles et les dits bureaux étaient des chambres à coucher, des cabinets de toilette, dont on avait seulement enlevé les lits mais il y restait des coiffeuses en tulle rose déchiré et des ciels de lit à rideaux déteints. C’était minable et poussiéreux. L’hygiène est pourtant une branche de la médecine, mais ça sentait le renfermé et n’était jamais balayé.
Après deux semaines d’attente on me fit savoir que je devais visiter à domicile les ouvrières d’usines de guerre qui demandaient repos ou congé de maladie. C’était un travail éreintant et parfaitement inutile car ces dames avaient leurs médecins de famille, habitaient la banlieue et me recevaient sur le pas de leur porte refusant de se laisser examiner.
Je fis ce travail de démarcheuse pendant 15 jours ; les kilomètres s’allongeaient sans résultat et, fortement courbaturée, je me dirigeai vers le Service de Santé avec l’intention d’y rendre poliment mon tablier.
Dans la chambre bleue, où le petit dernier avait laissé son berceau, je m’assis auprès d’un très vieux Monsieur qui avait l’air, lui aussi, bien déprimé. L’attente se prolongea ; nous nous mîmes à causer et j’en vins aux confidences et, quand on l’appela auprès du Médecin Général, il me prit par la main et m’emmena avec lui. L’entretien ne se prolongea pas longtemps, car mon petit vieux parlait fort et ferme.
« Je suis crevé, dit-il, ce n’est plus de mon âge d’être Médecin-Chef d’un hôpital de 100 lits. J’ai résisté 2 ans, mais je succombe. Confiez-moi cette Dame Docteur, je lui montrerai le travail, je donnerai les signatures et je pourrai rester enfin chez moi à chauffer mes rhumatismes: ça vous va-t-il ? »
Le Général leva les bras au ciel: « Qui commande ici, monsieur? »
« Moi et Madame, répondit-il et vous serez trop content de n’avoir plus à vous occuper de nous. »
Oui, on peut dire avec mon vieil ami Gringoire: « Dans la vie tout arrive, même les choses que l’on désire. »

Travailler enfin comme je l’avais tant désiré dans un grand hôpital de Dames de France, sous l’égide de ce brave confrère et ça c’était décidé en 10 minutes, alors que je courais après cette activité depuis 2 ans.
– « Vite, filez au Lycée de garçons, me dit mon mentor. Il s’y tient un Comité de Dames de la Croix-Rouge ; présentez-vous de ma part ; tâchez de leur plaire car elles ont une grande influence et si ça marche, à demain matin pour nos débuts… »
Au lycée de garçons désaffecté, je trouvai en effet une réunion de dames importantes : la présidente, femme d’un sénateur, la vice-présidente, femme d’un député, la Mairesse, toutes un peu « high-brow », mais polies. Elles m’interrogèrent sur mes titres et ma carrière. Je n’étais plus la femme de ménage en chômage, mais la cuisinière cordon bleu qui faisait valoir ses possibilités et montrait ses certificats. Enfin je fus acceptée !

Les jeunes DD de maintenant, dont on sait partout quelles études elles ont faites et combien elles sont nécessaires à la santé générale, ne connaîtront jamais cette demi-humilité avec laquelle nous nous présentions pour ne pas endurer de continuelles vexations.
Nous avions le malheur de venir après Louise Michel, les suffragettes anglaises et ces quelques femmes russes qui s’habillaient en homme pour faire de vagues études de médecine, pour lesquelles elles n’avaient aucune préparation. A la Faculté nous avions essayé de balayer tout cela ; nos équipes françaises, depuis 1900, avaient une autre allure. Mais il y avait encore une énorme malveillance à notre égard – et si les copains de notre âge nous avaient adoptées -, rien n’était plus hargneux, plus médisant, plus jaloux que les milieux médicaux qui voyaient monter la concurrence.

Eh bien, je dois l’avouer sans orgueil excessif, cette expérience fut une parfaite réussite, mais ce n’est pas seulement à moi ou à mon vieux confrère que je dus ces 2 ans où tous nos blessés furent bien reçus, bien soignés, bien nourris dans un hôpital où ils purent se sentir presque dans une grande famille. Et cela nous le devions à une équipe d’infirmières comme je n’en ai jamais rencontré. De toutes sociétés ; grandes bourgeoises, infirmières de carrière, petites mains en chômage, petites bonnes sans places et tout cela mené affectueusement par nos grandes dames que l’on m’avait annoncées si autoritaires.
Travaillant en parfaite entente, chacune avait son rôle bien défini : directrices, infirmières, lingères, cuisinières.

Quand je débutai, l’hôpital végétait à demi-vide car le vieux chef n’aimait pas les encombrements. J’allai donc au Service de Santé de la gare où arrivaient les grands blessés des dernières offensives et je précisai le nombre de lits que nous avions à remplir.
Pour le service de chirurgie, je m’entendis avec le Docteur de la Genière, qui m’ouvrit sa clinique. Pour le service de médecine, je m’entendis avec le Professeur Aubertin, qui le dirigeait au mieux. A l’ombre de ces deux sommités je pourrais travailler la conscience tranquille. De plus, je dénichai deux dames extraordinaires qui, sans être médecins s’étaient spécialisées dans les appareils plâtrés. L’une joufflue, un peu grasse, était Marquise, l’autre, fort maigre, était Comtesse. Toutes deux gentilles, gaies, généreuses, étaient la coqueluche de mes jeunes gars les plus blessés.
Je n’ai garde d’oublier une chose très importante, la cuisine de notre hôpital. A part les fiévreux, tous ces jeunes gars avaient bel appétit, et appréciaient chaque jour les menus et les gâteries que nous devions à nos dames directrices. Elles avaient de grandes propriétés et, en ce pays de Sarthe où, dans les vergers, les arbres croulent sous les fruits abondants, on réservait tout aux chers combattants. Bien mieux, chaque dimanche et fêtes, les cuisinières de grandes maisons se donnaient à tâche de cuire de solide pâtisseries pour plus de cent appétits. Quels arrivages et comme ils étaient reçu ! Aussi on n’a jamais entendu une plainte au sujet de la nourriture et plus d’un des confrères des hôpitaux voisins venait demander s’il n’y avait pas moyen d’avoir la protection de nos généreuses donatrices.
L’après-midi était réservée aux blessés arrivant du front. Les ambulances de la gare nous amenaient, au petit bonheur, des blessés et des malades. A ce moment-là – 1917- les Services de Santé du front étaient excellents, les pansements d’urgence très bien faits, mais dans quel état de fatigue et de découragement nous arrivaient ces soldats après un long voyage. Il fallait débrouiller tout cela sans faire souffrir et l’on allait lentement à la découverte de plaies, de fractures, de brûlures sous des pansements collés, d’hémorragies séchées, avec pus abondant, tout se faisait à la salle d’opération, et jamais une infirmière ne demandait à s’en aller avant que tout le contingent des nouveaux ne soit enfin détendus et consolés, dans un lit frais, à la garde des veilleuses de nuit.

La nuit était tombée quand mes travailleuses pouvaient rentrer chez elles dans cette ville sans autre lumière que de rares réverbères voilés de bleu ; mais j’avais une équipe pour les reconduire. On les appelait « les blessés d’en haut »: blessé de la face, des bras, du thorax ; même les manchots ; il leur restait des jambes et quelle joie pour eux d’emmener ce bataillon de jolies filles ! J’avais leur promesse d’une tenue impeccable et de rentrer immédiatement après avoir livré la dernière à sa famille. On était très fier d’avoir ma confiance, mais que de plaisanteries n’a-t-on pas faites sur ces gardiens improvisés, qu’on appelait « les ennuques de la Pachate. »
Absorbées par notre travail quotidien, nous ne profitions même pas des semaines de repos que nous accordait le Service de Santé. Les mois passaient ; c’est à peine si nous lisions les journaux, nous contentant du communiqué 2 fois par jour. L’Amérique était venue nous épauler et la ville du Mans s’augmenta d’une foule d’uniformes kaki, mais leur arrivée ne put nous réjouir car ils apportèrent avec eux cette terrible grippe, dite « espagnole », qui éclata à bord des transports américains et dont l’offensive fut immédiatement terriblement meurtrière. C’était dans nos hôpitaux une vraie catastrophe. Comme si nos pauvres blessés n’avaient pas assez de leurs misères sans y ajouter ces accès de fièvre, ces inflammations massives de poumons, ces pleurésies purulentes et cet œdème du poumon qui les liquidait en 24 heures. Le terme « Grippe » est donc totalement insuffisant car c’est une véritable pandémie, aussi grave, aussi contagieuse que le typhus, la peste ou le choléra !

Ce fut vers le printemps de 1918 qu’on commença à espérer une fin possible de cette interminable mêlée. Des deux côtés on semblait à bout de souffle : les arrivants du front étaient moins mornes et moins désespérés. Quelques-uns même assuraient que ça allait mieux et qu’ils n’y retourneraient pas. Un aviateur me dit, avec assurance : « Vous pensez bien que si on continue c’est qu’on a idée de s’en sortir. », et le Général Foch avait fait cette admirable et consolante prédiction :
« C’est avec des soldats épuisés, des armes déficientes dans un pays affamé et exsangue que se cueille la victoire. Le dernier qui tient debout sera le grand vainqueur. »
Et ce fut vrai : la France n’en pouvait plus, l’Allemagne se révoltait ; mes blessés et convalescents savaient mieux que nous lire le communiqué ; ils reprenaient confiance. Je les calmais craignant encore un faux espoir suivi d’une détresse plus dure à supporter, mais c’est eux qui avaient vu clair et le 11 Novembre fut là : l’Armistice signé, la guerre terminée et la victoire aux Alliés.

J’allai aux nouvelles au Service de Santé. Le Médecin-Général téléphonait comme de coutume son menu à son épouse ; le Médecin-Colonel, au contraire, avait l’air embêté.
« On me nomme à Lille reconquise ; et dire que j’avais fait ma provision de pommes de terre pour l’hiver ici ! »
Quant aux dactylos, c’était mon tour de rigoler en voyant leurs mines déconfites ; la belle place bien payée à ne rien faire leur échappait.
– » Ça ne vous inquiète pas, me dit la plus grincheuse, vous qu’êtes étrangère ! »
– » Née au Havre de parents français, répondis-je. Faudra apprendre la géographie, maintenant que vous aurez des loisirs. »
C’est là que j’appris qu’on allait immédiatement rouvrir le Lycée de garçons.

Cette liquidation de tout notre hôpital, ne se fit pas sans beaucoup de regrets de part et d’autres… Pour l’équipe remarquable qui avait mené cet hôpital pendant 4 ans, ce fut l’arrêt immédiat d’une belle campagne de guerre où seuls avaient comptés la pitié et le dévouement. Pour nos soldats, après la joie délirante des communiqués annonçant l’Armistice, la fin des hostilités par une victoire si durement acquise, ils connurent des heures mornes à l’idée qu’on les mettait dehors avant d’être guéris. Les moins atteints demandèrent à rentrer chez eux, mais nous avions encore beaucoup d’immobilisés. Impossible de trouver des lits dans les hôpitaux voisins qui affichaient « complet » et le Médécin-Général levait les bras au ciel sans résoudre le problème.

Je me souvins alors d’une circulaire reçue il y avait 2 ou 3 mois, par laquelle on nous avisait que différentes stations des Pyrénées et de la Côte Basque avaient des centres hospitaliers très bien installés par la Croix-Rouge et de nombreux lits à notre disposition.
– » Laissez-moi faire. » dis-je au grand chef ; et le jour même j’écrivais une vingtaine de lettres à toutes les adresses qu’on nous avait signalées ; les réponses arrivèrent et ce fut l’embarquement joyeux de tous les convalescents qui pouvaient marcher, puis des civières encadrées par des copains complaisants et seuls les grands brûlés et les plâtrés furent pris à la clinique La Genière.
Quelles bonnes lettres n’avons-nous pas reçus de ces garçons aussi simples que courageux. Ils furent admirablement soignés dans des petites villes ou dans des stations de cure. L’un d’eux, nous écrivit même : « Croyez-vous que quand on est arrivés, c’est le Maire qui est venu nous chercher et il a dit: « Je tenais à saluer, le premier, nos jeunes héros ! » Nous des héros ! On en rit encore nous quatre. »

Quand les maçons et les peintres arrivèrent pour ravaler le bâtiment du Lycée de garçons, nous faisions nos paquets dans des salles tristement vides et les classes purent reprendre le 1er janvier. Mais nous n’étions plus là, car alors que nous louchions vers l’Egypte pour y rentrer au plus vite, on nous avait nommés, mon mari et moi à l’Hôpital militaire d’Epinal et nous y avons passé l’hiver 1918-1919. Froid noir, dans un hôpital lamentable, qui ne ressemblait en rien à notre beau service du Mans.

Les directeurs éreintés s’en désintéressaient, les infirmières étaient déplorables et volaient les œufs et le lait des régimes – et nous y recevions, par fournées, tous les déchets des prisons d’Allemagne, des tuberculeux, des cancéreux ; et j’ai même eu 2 cas de typhus exanthématique, qui sont morts à peine arrivés. Pas une visite charitable, pas une gâterie pour ces pauvres types qui me rappelaient les « meskins » du pèlerinage d’El-Tor, et les morts s’en allaient au cimetière sans un drapeau, sans copains pour entourer le plus misérable des corbillards.

Il ne faut pas jeter la pierre à ceux qui vécurent ces heures décourageantes après des années de si dures épreuves, or il avait fallu tenir malgré tout, la nature humaine a de ces sursauts involontaires. Le rire après les larmes, le besoin de folies après des années d’austérité. Tout le monde semblait déchaîné : on chantait, on dansait, on faisait des repas somptueux avec des charcuteries douteuses et des vins frelatés. Les Américains, qui avaient si peu combattu n’étaient pas repartis ; ils avaient les poches pleines et ne trouvaient pas de cruelles parmi une jeunesse féminine qui, d’habitude, avait beaucoup meilleure tenue. On se consolait en affirmant qu’en Allemagne et en Angleterre c’était pire.
L’hiver passé, l’hôpital d’Épinal se vida surtout vers le cimetière et les lits désertés ne se remplirent plus.

Notre Service Quarantenaire a hâte de récupérer ses médecins pour la campagne d’El-Tor qui s’annonce avec de nombreux pèlerins. On va rouvrir le grand lazaret fermé, presque abandonné depuis 4 ans. Le départ se fait rapidement et, sans un merci, sans une récompense méritée, nous partons vers Marseille.
On se retrouve en foule sur le quai des Messageries. On tombe dans les bras de vagues connaissances qui vous accueillent comme de vieux amis. La chère patrie France, on l’a servie au mieux mais on retourne, avec quelle joie, vers la douce Égypte.
Il n’est plus questions de plaintes continuelles contre la chaleur, la poussière et les vents du désert, sans compter le manque de plaisirs intellectuels pour les uns et des modes de Paris pour les autres.
Le bateau est pris d’assaut. On s’empile en famille dans d’étroites cabines où l’on a dédoublé les couchettes ; il y a pour la table 4 services successifs au lieu d’un seul, mais personne ne grogne ; le ciel est clair, la mer est calme, la guerre est finie et l’on vogue vers Alexandrie.