Texte de Palmyre Landrieu (2.1), son enfance à l’Heure 1862-1882
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11 – Les chevaux de la Pampa
Un beau jour de 1868 mon Oncle Charles qui habite le Havre et connaît l’amour de mon Père pour les beaux chevaux, lui écrit que l’on va mettre en vente un troupeau de bêtes superbes, jeunes, noires et fières, arrivant directement de la Plata.
Mon Père part de suite, s’emballe des admirables coursiers, en achète une dizaine.
Ce fut toute une expédition de les faire voyager du Havre à Abbeville, ces libres habitants des pampas ne connaissaient ni barrières ni licols. Adéodat assura la surveillance du convoi avec d’autres hommes. Les bêtes étaient entravées, tout marcha à peu près jusqu’à Abbeville, mais il fallait gagner l’Heure.
Ce fut une chevauchée épique. Ces splendides chevaux sentant l’air pur, la liberté, l’odeur des prés, échappèrent à tout lien et renâclant, crinière au vent, partirent à une allure vertigineuse, semant la panique en ville. Après mille difficultés, des péripéties sans nombre, des courses folles, ils furent rassemblés. On parvint avec peine à guider le troupeau des cavales indomptées hors d’Abbeville, vers les gras pâturages de chez nous. Ils reprirent aussitôt leur état premier, qui était l’état sauvage, plus de lasso pour s’en rendre maître. Ils ne pouvaient être approchés qu’avec difficulté et étaient dangereux.
J’ai gardé souvenir de leur troupe serrée, galopant éperdument dans la vallée, martelant la terre picarde de leur trot précipité et laissant se dérouler au vent les longues écharpes de leurs crinières et de leurs queues. C’était la vivante évocation de la liberté.
Ils ne purent jamais être dressés et ceux qui résistèrent à notre climat finirent au haras de M. Gabriel de Valangart.
Ils étaient légendaires. À plus de 10 lieues à la ronde, il n’est pas une famille qui ne fut venue en excursion à l’Heure pour apercevoir entre les arbres de notre douce vallée, par dessus les haies, cette troupe de diables noirs qui, les naseaux fumants, la crinière hérissée, la queue flottante, battaient la terre de leurs sabots en hennissant : ils regrettaient leur savane.
Je ne puis entendre résonner ces claires syllabes ‘La Plata’ sans rêver d’espaces illimités où sous un soleil implacable, des coursiers de feu font résonner le sol de leur galop furieux.
Suite : 12 – Les Romanichels
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