Vingt ans de bonheur – 12

Texte de Palmyre Landrieu (2.1), son enfance à l’Heure 1862-1882

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12 – Les Romanichels

Dans ma petite enfance on voyait tous les ans, arriver une tribu de Romanichels.

Ils étaient nombreux comme un village, habitaient dans des roulottes traînées par des chevaux d’une race inconnue chez nous. Leurs harnais étaient bizarres, scintillant de clochettes qui tintaient aussitôt que les voitures s’ébranlaient. Ils campaient en dehors du village, leurs roulottes étaient gardées par de grands chiens fauves au poil ras, au museau pointu et aux oreilles droites et mobiles. Tout était étrange et sauvage chez ces hommes. Eux-mêmes, vêtus de houppelandes, avec des cheveux longs, des visages bruns éclairés d’yeux de braise. Leurs femmes jolies, brunes aussi, aimables et avenantes, circulaient dans les villages. Elles étaient vêtues d’étoffes bariolées, souvent rayées, avec des châles et des madras de couleurs vives, de grands anneaux d’or aux oreilles et de nombreux colliers de verroterie étincelante.

Ma Mère était très bonne pour eux, il y avait une ribambelle d’enfants qui suivaient, et des bébés ravissants attachés, suspendus et branlants, aux flancs des chevaux. Tout ce monde réclamait du pain, du lait, on avait pitié d’eux.

C’était curieux et pittoresque de les voir entrer dans la cour, cinq ou six hommes tenant en laisse d’énormes ours gris, presque autant d’oursons suivaient. Des fillettes brunes vêtues de robes pailletées dansaient en agitant des tambourins. Les ours se balançaient et finissaient par le pas de l’ours qui était effrayant.

Nous connaissions parfaitement une de ces fillettes qui était de notre âge. D’année en année elle grandissait comme nous et Maman nous permettait de lui donner quelques vêtements que nous ne portions plus.

Nous étions contentes de revoir la petite Laurence, c’était son nom. Nous savions que nous allions lui faire plaisir. Pour nous elle avait toutes les grâces, dansait à ravir, ayant comme vis-à-vis un gros ours. Parfois elle s’approchait de lui, tirant vivement sur sa chaîne et l’ours de grogner en montrant ses crocs.

Les ours ayant eu soif, se sont approchés, un jour, d’un abreuvoir.

Quelques heures après, des chevaux venus aussi pour boire, se sont mis à renâcler, reculant et hennissant de peur. On a dû vider l’eau, purifier l’abreuvoir avant qu’ils osent s’en approcher.

Les hommes avaient deux métiers. Ils tressaient des paniers et des corbeilles, mais surtout ils raccommodaient et étamaient les chaudrons et tous ustensiles de cuivre. Comme ils passaient à peu près à époque fixe, on leur réservait du travail. Nous ne les avons plus revus après 1870. Ils ont dû être expulsés, refoulés dans leur pays d’origine. On n’a plus jamais revu la petite Laurence, ni de gros ni de petits ours.

Suite : 13 – Le Second Empire

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