Vingt ans de bonheur – 17

Texte de Palmyre Landrieu (2.1), son enfance à l’Heure 1862-1882

Pour lire les autres chapitres, consulter le Sommaire

17 – L’Église de Caux-Caours

Nous n’avions de messe que le dimanche ; les autres jours il fallait aller à Caux où M. le Curé résidait. Que de fois avec Gabrielle qui m’entrainait, je l’avoue, nous sommes parties dans le froid, la nuit noire.

Nous avions une lanterne pour nous éclairer, car nous passions au milieu des champs.

L’Église était éloignée, il fallait traverser un cimetière dans toute sa longueur, il n’y avait ni chemin ni sentier. On passait en zigzag entre les tombes. Chacune notre tour, nous tenions la lanterne, l’élevant aux passages douteux et difficiles. Jamais nous n’avons eu peur. En ces temps, la campagne était très sûre. Je ne me rappelle pas avoir entendu parler d’agressions ni de vols sur les routes.

Quelle joie, l’été, quand nous faisions cette promenade matinale ! Quelle préparation à la messe que nous allions chercher si loin…

Le village que nous traversions était enfoui dans la verdure, çà et là apparaissaient quelques pans de maisons, une mince fenêtre enguirlandée de liserons, un attelage de chevaux se rendant aux champs.

Nous tournions à l’arbre des fées. Cet arbre était un pommier tordu qui étendait ses branches le long du talus. En cercle autour du pommier poussait un anneau de verdure, d’un vert tendre, fragile et printanier.

La légende voulait que les nuits de lune, quand la terre était baignée de lumière nocturne, que les ombres s’allongeaient, les fées de la vallée venaient s’y promener, balayant l’herbe drue de leur longue traine argentée.

De fait, toujours, maintenant encore, persiste ce cercle d’un vert tendre entourant un pommier, aujourd’hui bien vieux.

Après l’arbre des fées ce sont les champs, la pleine campagne, un sentier étroit comme un ruban circule au milieu des blés, des trèfles incarnats, des lins bleus et de toute cette végétation luxuriante, promesse de moissons et d’abondance.

Il nous est arrivé de nous arrêter pour laisser passer une jeune couvée de perdreaux, père, mère éperdus, affolés et tous les petits serrés, trottant sur leurs pattes effilées et essayant leurs ailes encore trop courtes.

Des alouettes s’élevaient, chantant éperdument un hymne au soleil. Jusqu’à l’Église, c’était à chaque pas l’émerveillement, la méditation en face de la nature, en face de Dieu qui mettait devant nos yeux les beautés de la création.

Oh, qu’elles étaient douces, suaves et belles ces promenades de ma jeunesse avec ma chère Gabrielle ! Comme nous nous aimions, comme nos regards se comprenaient, que d’élans généreux, enthousiastes, Gabrielle faisait passer de son cœur dans le mien ! Quelle influence elle a eue sur nous tous ! Son souvenir est resté parmi nous et au-delà, comme la personnification du dévouement, de la charité, du cœur le plus aimant et le plus généreux. Quand elle nous a quittés pour entrer au séminaire des Filles de la Charité, rue du Bac, notre douleur a été affreuse. Ma pauvre Mère a pleuré sa fille toute sa vie. Il me semblait qu’on avait arraché un morceau de moi-même.

Suite : 18 – Rue de Beauvais à Amiens

Retour au sommaire