Vingt ans de bonheur – 5

Texte de Palmyre Landrieu (2.1), son enfance à l’Heure 1862-1882

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5 – L’Église de l’Heure

Bien vieille, bien décrépite, bien émouvante et spirituelle est notre modeste Église de l’Heure. Elle fut jadis un sanctuaire vénéré, un pèlerinage connu qui, les 8 septembre de chaque année, voyait venir vers elle de lointaines théories de pèlerins.

Louis XI, entouré de ses Seigneurs, est venu prier notre Dame de l’Heure et fit don au sanctuaire d’une frise de bois sculpté. Cette frise existe toujours.

Mon Église est bâtie sur un monticule, une petite éminence, la tradition veut que, jadis, la mer montait jusque là.

Ma grand-mère Landrieu qui était une demoiselle Brocquevielle de L’Heure, avait connu, dans son enfance, des anneaux de fer scellés autour de l’Église et l’on assurait que des barques de pêche venaient s’y mettre à l’ancre.

Autour de l’Église, serré dans un tout petit espace, est le cimetière, un minuscule cimetière où les tombes, côte à côte pressées, enchevêtrées, font penser aux alvéoles d’une ruche. C’est là que reposent ceux que j’ai tant aimé et c’est là que ma chère Anne-Marie et moi, irons dormir notre dernier sommeil.

L’intérieur de l’Église est pauvre, pas de vitraux, souvent le lierre et le chèvrefeuille passent leurs têtes à travers les vitres mal closes. Pas de table de communion, pas de sacristie, des bancs vermoulus sans dossier, une chaire si branlante que jamais je n’ai vu M. le Curé y monter. Une seule nef pavée de briques disjointes et verdies. Mais, se dégageant de cette humble vétusté, une impression indéfinissable de durée, de respect, de tradition, de tendresse et de charme fait de pauvreté évangélique.

Après une absence de 40 ans, j’ai revu, avec quelle émotion, ma petite Église. J’ai voulu fermer la porte du confessionnal. Elle a résisté, est restée entr’ouverte ainsi que je l’ai toujours connue.

Enfant, j’avais une certaine crainte en approchant du confessionnal, on apercevait M. le Curé qui représentait le Bon Dieu. Lui non plus, n’a jamais pu fermer la porte.

Une énorme échelle étroite et raide, monte au clocher. Un jour Gabrielle échappant à la surveillance de Melle, est montée en haut. On a eu toutes les peines du monde à l’en faire descendre.

Il y a aussi à l’Heure une très belle Vierge en bois, très ancienne, elle est habillée de vieille soie surannée. Ma chère Gabrielle, la dernière année de sa vie dans le monde, lui avait brodé une très belle robe. Le reliquaire de Notre Dame de L’Heure est très ancien et n’est pas sans charme. C’est un beau visage de Madone grandeur nature.

Elle est peinte, des yeux bleus candides, un teint ivoire avec un long nez droit et des lèvres qui sourient. Offerte par Louis XI qui le tenait de St François de Paul qu’il appela près de lui à Plessis-Lès-Tours. Dans le reliquaire il y avait des sachets avec de la terre de Lorette.

Une couronne d’argent ourlée d’un galon de grosses pierres, rubis et émeraudes, et, à la base du cou, est enchâssé le reliquaire qui, sous un verre épais, laisse apercevoir plusieurs sachets retenus par des fils d’or.

Durant la messe les paroissiens avaient la dévotion des cierges, ils en allumaient des quantités qu’on plantait un peu partout. C’était primitif et touchant. Quelle simplicité, quelle absence de complications, quelle foi naïve ! Un dimanche matin, après une nuit d’ouragan, le toit de l’Église s’est trouvé endommagé, juste au-dessus de nos places. Nous avons dû entendre la Messe nos parapluies ouverts.

C’est de la maison que l’on a toujours entretenu la lampe du sanctuaire. Ma famille, afin que le Bon Dieu demeure et veille sur le village, s’était engagée auprès de l’évêché, à entretenir la lampe.

Que de fois, notre joyeuse bande sautant, dansant autour de Melle, s’est dirigée vers l’Église et, après une prière récitée tout haut, on procédait à l’entretien de la lampe. L’huile que l’on versait coulait lentement comme un fil ambré, puis la petite veilleuse grise, avec sa houppette blanche, que l’on posait avec soin sur l’anneau de liège argenté et après, les allumettes que l’on grattait. La petite flamme qui vacillait, semblait s’éteindre, puis tout à coup se redressait et enfin pour 24 heures allait éclairer le Bon Dieu et lui répéter la prière que tous ces petits enfants avaient commencée.

Quels instants délicieux ! Avant de fermer la porte de l’Église on jetait un dernier regard sur la lampe : « Melle, Melle, elle s’éteint, on ne la voit plus » – et vite la bande d’accourir vers l’autel, mais la petite lampe n’attendait que ce déplacement d’air pour redresser sa minuscule tête de lumière et vite dans une dernière invocation on fermait la porte du Bon Dieu.

Le clocher de mon Église est long, mince, couvert d’ardoises, qui sont un champ de pervenches suspendues dans l’azur du ciel.

La cloche dont je connais le son plaintif, a sonné durant des siècles les mariages, les naissances, les trépas de Ceux qui nous ont précédés. Elle a pleuré dans mon cœur, elle pleurera encore pour nous, ma fille et moi et après ce sera le grand silence, l’anonymat, puis plus rien.

La famille entière vivra près de Dieu.

Suite : 6 – Bonne Maman

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